jeudi 6 novembre 2008

L'élite de Bou Saada saura-t-elle protéger sa ville?





  • L’oasis de Bou Saada face aux nouvelles données socioculturelles
    Processus de changement et formes de résistances

    Pr. Souâd KHODJA

    Il n’y a point de vent favorable à celui qui ne sait pas où il va (Sénèque)

    · Définition de l’oasis : Seule une approche multidisciplinaire associant les points de vue géographique, historico-politique, civilisationnel, sociologique, économique, urbanistique, religieux, littéraire et artistique, est à même de nous permettre d’appréhender la dynamique de son fonctionnement. Ceci pour dire que les oasis sont des micro sociétés particulières qui doivent être saisies comme un tout ayant sa propre logique et qui , bien que présentant des points communs avec le reste des régions d’Algérie, s’en différencient sur bien des aspects.

    · Du point de vue géographique : Une oasis est un écosystème qui apparaît à proximité d'une source d'eau ou d’une nappe phréatique suffisamment proche de la surface du sol ou, parfois, sur le lit de rivières venant se perdre dans le désert
    · Du point de vue socioéconomique : elles ont joué un rôle important dans l’histoire algérienne. Elles ont été créées ou se sont développées grâce à leur rôle de relais sur les routes commerciales. On sait que les caravanes allaient échanger avec les populations subsahariennes le sel et les plumes d’autruche contre de la poudre d’or. Ce commerce qui faisait la richesse de l’empire arabo musulman était protégé contre les pillards par les tribus Beni Hilal. Ces îles vertes, étaient organisées autour d’un ingénieux système de production quasi millénaire celui de l’irrigation (seguias). Des architectures sophistiquées d'irrigation, soutenues par des institutions traditionnelles de gestion des ressources en eau, en assuraient une juste distribution. Quant à l’agriculture, elle constitue un système intégré caractérisé par la superposition de trois strates créant ce que l'on appelle l'effet oasis. D’abord le palmier dattier, sous lequel on trouve des étages sous-jacents d'arbres fruitiers et des cultures herbacées ; en outre l'ombre qui abaisse la température ambiante, créant ainsi un microclimat, représentent le lieu favori de vie au Sahara durant les fortes chaleurs et constituent aussi un attrait important pour le tourisme.
    · Du point de vue politique et historique : Véritables carrefours et plaques tournantes du commerce, la route de l’or constituait pour les oasis une sorte de transsaharienne qui en faisait la richesse et l’opulence. C’est pourquoi leur contrôle politique et militaire était d'une grande importance stratégique. Avant de s’étendre au reste de l’Algérie, les Sanhadja, les Almoravides, les Almohades, par exemple, commençaient d’abord par prendre pied dans les oasis qui leur servaient dès lors de bases stratégiques. Rappelons nous la Kalaa des Beni Hammad tout près de la ville ; à sa chute une grande partie de la population dont beaucoup de nobles s’est installée à Bou Saada. Plus tard les Zaouias animées par les prédicateurs venus de Saguia El hamra suivirent le même itinéraire.
    · L’oasis et la cité : Grâce à ces mouvements socioéconomiques et politiques, les oasis sont devenues de grands lieux de citadinité, de religiosité, de savoirs et de civilités, de culture, de poésie et d’art de vivre. Les arts gastronomique et vestimentaire s’y épanouissent. Ceci nous rappelle qu’une société n’est pas uniquement un système productif et politique c’est aussi une culture et une conception du monde. Le raffinement et la sophistication de ceux-ci renseignent sur le degré de développement de la cité.
    · L’oasis et son environnement immédiat : La cité est intégrée à son environnement immédiat par une complémentarité étroite entre l’élevage transhumant des nomades et une population citadine versée dans l’agriculture et l’artisanat.
    · En conclusion on peut retenir l’idée que les oasis ont une histoire longue et lourde. Celle-ci marque toujours, au-delà du paysage, la mémoire collective dont elle constitue les repères identitaires. Il s’avère nécessaire de penser à la prendre en considération avant de lancer tout projet les concernant de quelque nature qu’il soit. C’est pourquoi il faut en saisir la dynamique de leur changement dans une mise en perspective de leur devenir.
    · Si on sait que les oasis ne sont plus complètement ce qu’elles étaient on peut se demander ce qu’elles sont devenues. Et pourquoi ?
    · On assiste aujourd’hui à une prise de conscience des communautés locale, nationale et internationale de la problématique de la dégradation environnementale et socio-économique des oasis. Parmi les questions posées on peut relever celles-ci : Comment gérer la transition du passage de la tradition à la modernité ? Comment intégrer les techniques modernes et leurs philosophies sans pour autant menacer ou déséquilibrer la société traditionnelle?
    A cela vient s’ajouter la préoccupation récente du changement climatique, comme le montrent les récentes inondations : Toutes les nouvelles infrastructures doivent être repensées, redimensionnées et construites en prenant en compte les nouvelles menaces liées aux changements climatiques. Comme les inondations, les vents violents et la sécheresse, explique un climatologue (El Watan du 28/10/08), commentant les dernières inondations qu’ont connu les villes des hauts plateaux et du grand sud.
    · Ces préoccupations peuvent se décomposer ainsi : Comment développer la cité pour qu’elle réponde aux normes fonctionnelles et esthétiques des villes modernes sans pour autant en menacer le cachet particulier ? Faut-il imiter les tours sans âme des villes modernes ou se refermer sur soi dans une nostalgie, certes agréable, mais peu productive? Comment construire des logements décents et confortables disposant de toutes les commodités, des routes et des transports et des soins de santé modernes ? Comment ériger des lieux de convivialité urbaine et citadine, en respectant l’environnement, les normes esthétiques anciennes et la fonctionnalité ? En d’autres termes, comment faire beau, utile, fonctionnel mais aussi respectueux de l’histoire de la ville ?
    · Parmi les thèmes traités par les environnementalistes qui ont organisé des journées d’étude en Algérie et dans le monde on trouve : L'oubli de la cité, la mémoire collective à l'épreuve de la modernité, L’acculturation à la modernité, la préservation de l’héritage séculaire, l’évolution des pratiques et savoirs oasiens, la ville réelle ou la ville fantasmée, la recomposition de la ville fragmentée, l’éclatement l’espace et la perte de son identité, etc.
    · Qu’en est-il de la ville de Bou saada ? Comment voit-elle son avenir ? Il s’agit uniquement d’ouvrir un débat qui donnera quelques axes de réflexion pour que, lors d’une prochaine rencontre éventuelle, on puisse avoir déjà déblayé le terrain et s’entendre ensemble sur les thèmes à approfondir.

  • A l’instar de toutes les oasis d’Algérie, la cité du bonheur a subi des pressions socio écologiques, créant un profond bouleversement de la vie de la ville. Les trois éléments essentiels qui donnaient anciennement vie à la ville tels que le commerce au long cours avec l’Afrique subsaharienne, le tourisme, la complémentarité artisanat, agriculture et pastoralisme ont disparu ou sont fortement réduits. Ce qui lui a donné vie hier a presque disparu aujourd’hui.
    Cette disparition ou cette réduction n’ont pas été complètement remplacées par des activités capables d’en combler les déficits. Selon les habitants de la ville auprès desquels j’ai relevé ces propos, la rareté ou l’absence d’investissements industriels productifs créateurs d’emplois, la raréfaction du tourisme et des activités artisanales et commerciales qu’il nourrissait, l'aggravation de la rareté des ressources en eau, l’abandon relatif de la transhumance et de l’agriculture vivrière ne permettent pas à une partie de la population d’avoir un niveau de vie décent. A cette mal vie sont venus s’ajouter une forte pression démographique et l’urbanisation des nomades en quête légitime d’emplois en ville.
    Ceci pour le volet socioéconomique.

  • Qu’en est-il de la structure urbaine de la ville et de la vie culturelle ancienne et moderne?
    · Les infrastructures urbaines seraient rares, l’urbanisation anarchique (on parle même de ruralisation de la ville), pendant qu’on assiste à la mort lente de la vieille ville et de certains édifices urbains anciens qui font partie de la mémoire de la ville. Restent, de surcroît, en suspens les questions soulevées par le projet de la fixation des dunes.
    · La disparition progressive des manifestations culturelles traditionnelles qui structurent la mémoire collective et donnent son dynamisme à une identité individuelle ouverte sur le monde. Elles sont parfois remplacées par des simulacres de manifestations culturelles dites modernes d’un goût des plus douteux et peu structurants de la personnalité de base.
    · Mais bien que soumises à la pression négative de multiples facteurs qui donnent l’impression qu’elle est en simple situation de survie, la cité donne des signaux encourageants prouvant qu’elle s'ouvre sur le futur.
    · Face à ces insuffisances, la question qui se pose aujourd’hui semble être la suivante :

  • Comment sauvegarder, préserver et développer l’oasis de Bou Saada dans le cadre d’une politique de développement durable ? Autrement dit comment préserver son héritage millénaire et en même temps mettre en place des processus d’adaptation aux changements socioculturels contemporains ? Comment mettre en place un projet de développement local à travers un tourisme durable, une agriculture respectueuse de la biodiversité et des activités culturelles structurantes ?
    Les préoccupations qui en découlent sont multiples : Comment valoriser le patrimoine culturel et agricole, conserver la valeur historique du paysage ? Comment réadapter l'écosystème et les fonctions de vie dans la palmeraie ? Comment continuer à lutter contre l'avancée des sables ? Comment assurer la continuité de la complémentarité des activités de la transhumance et agricoles dans un cadre moderne ? Quel type de tourisme faut-il encourager ? Quelle agriculture et quel artisanat préserver ou développer ? On peut lister tous ces questionnements pour tenter ensuite d’en faire un programme cohérent dont les activités seront liées entre elles et en même temps animées par une conception de la cité et par une vision d’avenir. L’objectif in fine étant de créer un cadre de vie agréable pour ses habitants préservant leur mémoire séculaire, tout en leur permettant de disposer d’activités et de revenus leur permettant d’avoir un niveau de vie au moins correct.
    · Le changement social ne s’improvise pas, il se réfléchit, il s’organise, il nécessite une modélisation qui en définit la politique stratégique donc les orientations, les processus, les axes fondamentaux. Faisons ici une première proposition qui est soumise à débat pour être discutée, enrichie, modifiée.


Esquisse d’un projet stratégique comprenant les 3 axes suivants reliés entre eux :
· Axe 1 : développement d’une politique de tourisme durable à travers la restauration - préservation du patrimoine historique
· Axe 2 : Modernisation des techniques agricoles et du cadre de vie de la palmeraie. Se poser la question suivante : La modernisation des techniques d'irrigation menace-t-elle l'équilibre social et environnemental ? Le développement de l’agriculture et de l’élevage ovin (nomadisme) est-il une adaptation ou une disparition de la vie nomade ?
· Axe 3 : Gestion Urbanistique de la ville : créer de nouveaux modèles respectueux de la sociabilité citadine de la ville en restaurant la médina ?


Une fois ces trois axes discutés, réadaptés, enrichis, on peut légitimement se demander qui va pouvoir réaliser ce programme, mis à part bien évidemment les structures étatiques ? Si nous avons volontairement mis en exergue les aspects négatifs de la ville il est grand temps de faire voir ses aspects positifs car bien heureusement Bou Saada garde encore de son valeureux passé beaucoup de traces qui n’attendent qu’à être réactivées par l’élite cultivée qu’elle a su créer.


C’est véritablement l’élite de la ville qui constitue sa richesse et son espoir.

  • De ces aspects positifs j’aurais pu en parler mais je préfère céder la parole à d’autres personnalités qui, du fait qu’ils ne sont pas originaires de Bou Saada, ne peuvent être suspectés de partialité.
    Bou saada, appelée aussi cité du bonheur, a été célébrée par de grands intellectuels, poètes et artistes. Parmi ceux là on peut citer le Professeur Y.Nacib ici présent et ce grand absent Mostéfa Lacheraf (Allah yarahmou). Avec sa permission, je laisserai mon professeur dire lui-même sa propre expérience. Mais je ne peux m’empêcher de céder la parole à celui qui a su aussi trouver les mots justes, Mostéfa Lacheraf dont si vous m’y autorisez je vais vous lire, pour lui rendre hommage, des extraits de son livre intitulé : Des noms et des lieux où il décrit les impressions qu’il garde de la ville lorsqu’il y a été nommé juge suppléant en 1942. (Voir en bas du blog les citations complètes dans le texte intitulé : Petite histoire de la ville de BS).

Pr. Souâd KHODJA: Résumé de la conférence du 30/10/08 à Bou Saada














·

Aucun commentaire: